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OÙ LE ROMAN JUSTIFIE SON TITRE.

raudes, s’approcha du jars par derrière et le coiffa de sa cape d’un mouvement si juste, si dextre et si rapide, que son action dura moins de temps qu’il n’en faut pour la décrire.

La bête encapuchonnée, il s’élança sur elle, la saisit par le col sous la cape que les palpitations d’ailes du pauvre animal qui suffoquait eurent vitement fait envoler. Scapin, en cette pose, ressemblait à ce groupe antique tant admiré qu’on appelle l’Enfant à l’oie. Bientôt le jars étranglé cessa de se débattre. Sa tête retomba flasquement sur le poing crispé de Scapin. Ses ailes ne donnèrent plus de saccades. Ses pattes bottées de maroquin orange s’allongèrent avec une trépidation suprême. Il était mort. Les oies, ses veuves, redoutant un sort pareil, poussèrent en manière d’oraison funèbre un gloussement lamentable et rentrèrent dans le bois.

« Bravo, Scapin, voilà un tour bien joué, exclama le Tyran, et qui vaut tous ceux que tu pratiques au théâtre. Les oies sont plus difficiles à surprendre que les Gérontes et les Truffaldins, étant de leur nature fort vigilantes et sur leurs gardes, comme il appert de l’histoire où l’on voit que les oies du Capitole sentirent l’approche nocturne des Gaulois et par ainsi sauvèrent Rome. Ce maître oison nous sauve d’une autre manière, il est vrai, mais qui n’en est pas moins providentielle. »

L’oison fut saigné et plumé par la vieille Léonarde. Pendant qu’elle arrachait de son mieux le duvet, Blazius, le Tyran et Léandre, éparpillés dans le taillis,