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OÙ LE ROMAN JUSTIFIE SON TITRE.

sonne, la faim faisant taire la conscience, n’eut de scrupule sur la manière dont Scapin avait agi. Le Pédant, qui était un homme ponctuel en cuisine, s’excusa de n’avoir pas de bigarades à mettre coupées en tranches sous l’oison, ce qui est un condiment obligatoire et régulier, mais on lui pardonna de grand cœur ce solécisme culinaire.

« Maintenant que nous voilà rassasiés, dit le Tyran en s’essuyant la barbe de la main, il serait à propos de ratiociner quelque peu sur ce que nous allons faire. Il me reste à peine trois ou quatre pistoles au fond de mon escarcelle et mon emploi de trésorier est bien près de devenir une sinécure. Notre troupe a perdu deux sujets précieux, Zerbine et le Matamore, et d’ailleurs nous ne pouvons donner la comédie en plein champ pour l’agrément des corbeaux, des corneilles et des pies. Ils ne payeraient pas leur place, ne possédant pas d’argent, à l’exception peut-être des pies, qui, dit-on, volent les monnaies, bijoux, cuillères et timbales. Mais il ne serait pas sage de compter sur une telle recette. Avec le cheval de l’Apocalypse qui agonise entre les brancards de notre charrette, il est impossible d’arriver à Poitiers avant deux jours. Ceci est fort tragique, car d’ici là nous courons risque de crever de faim ou de froid au rebord de quelque fossé. Les oies ne sortent pas tous les jours des buissons toutes rôties.

— Tu exposes fort bien le mal, fit le Pédant, mais tu n’en dis pas le remède.

— M’est avis, répondit le Tyran, de nous arrêter au premier village que nous rencontrerons ; les travaux