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LE CAPITAINE FRACASSE.

peut crier tope et masse sans que personne vous entende autre qu’un vieux domestique qui renouvelle les flacons. C’est là aussi qu’il abrite ses amours et fantaisies galantes. Il s’y trouve un appartement fort propre tapissé en verdures de Flandre ; meublé d’un lit à l’antiquaille, mais large, moelleux, bien garni de coussins et rideaux ; d’une toilette dressée où ne manque rien de ce qui est nécessaire à une femme, fût-elle duchesse, peignes, éponges, flacons d’essence, opiats, boîtes à mouches, pommades pour les lèvres, pâtes d’amande ; de fauteuils, chaises et pliants rembourrés à souhait, et d’un tapis turc si épais qu’on peut tomber partout sans se faire mal. Ce retrait occupe mystérieusement le second étage du pavillon. Je dis mystérieusement, car du dehors il est impossible d’en soupçonner les magnificences. Le temps a noirci les murs qui sembleraient près de tomber en ruine sans un lierre qui les embrasse et les soutient. En passant devant le castel on le croirait inhabité ; les volets et tentures des fenêtres empêchent, le soir, la lumière des cires et du feu de se répandre sur la campagne.

— Ce serait là, interrompit le Tyran, une belle décoration pour un cinquième acte de tragi-comédie. On pourrait s’égorger à loisir en une telle maison.

— L’habitude des rôles tragiques, dit Zerbine, te rembrunit l’imagination. C’est au contraire un logis fort joyeux, car le marquis n’est rien moins que féroce.

— Poursuis ton récit, Zerbine, dit Blazius avec un geste d’impatience.

— Quand j’arrivai près de ce manoir sauvage, con-