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LE CAPITAINE FRACASSE.

jaune, un large baudrier supportant une épée en verrouil, un feutre à grands bords enfoncé jusqu’aux yeux et surmonté d’une plume longue à balayer les toiles d’araignée au plafond, contenait la foule à la porte qu’il barrait d’une sorte de pertuisane, ne laissant passer quiconque qu’il n’eût craché au bassinet dans un plateau d’argent posé sur une table, c’est-à-dire payé le prix de sa place ou à tout le moins montré un billet d’entrée en la forme convenue. Vainement quelques petits clercs, écoliers, pages ou laquais essayèrent de pénétrer en fraude et de se glisser sous la redoutable pertuisane, le vigilant cerbère les renvoyait d’une bourrade au milieu de la rue, où d’aucuns tombèrent dans le ruisseau à jambes rebindaines, grand sujet d’hilarité pour les autres, qui s’esclaffaient de rire et se tenaient les côtés à les voir se relever tout punais et contaminés de fange.

Les dames arrivaient en chaises à porteurs dont les brancards étaient tenus par de vigoureux manants courant sous cette charge légère. Quelques hommes venus à cheval ou à mule jetaient les brides de leurs montures à des laquais apostés pour cet office. Deux ou trois carrosses à dorures rougies et à peintures fanées, tirés de la remise en cette occasion solennelle, s’approchèrent de la porte au pas de lourds chevaux, et il en sortit, comme de l’arche de Noé, toutes sortes de bêtes provinciales d’aspect hétéroclite et caparaçonnées d’habits à la mode sous le défunt roi. Cependant ces carrosses, tout délabrés qu’ils fussent, ne laissaient pas que de faire impression sur la foule