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VALLOMBREUSE.

de cabaret et de salle d’armes, quelquefois même de hideux termes d’argot empruntés au dictionnaire de la cour des Miracles, où se parlent les langues d’Égypte et de Bohême ; elle n’y trouvait rien qui l’éclairât sur le sort qu’on lui réservait, et un peu saisie par le froid, elle allait se retirer lorsque Malartic donna sur la table, pour obtenir le silence, un épouvantable coup de poing qui fit chanceler les bouteilles comme si elles eussent été ivres, et cliqueter les verres les uns contre les autres avec une sonnerie cristalline donnant en musique ut, mi, sol, si. Les buveurs, quelque abrutis qu’ils fussent, en sautèrent d’un demi-pied en l’air sur leur banc, et toutes les trognes se tournèrent instantanément vers Malartic.

Profitant de cette trêve dans le vacarme de l’orgie, Malartic se leva et dit, en élevant son verre dont il fit briller le vin à la lumière comme un chaton de bague : « Amis, écoutez cette chanson que j’ai faite, car je m’aide de la lyre aussi bien que de l’épée, une chanson bachique comme il convient à un bon ivrogne. Les poissons, qui boivent de l’eau, sont muets ; s’ils buvaient du vin, ils chanteraient. Donc, montrons que nous sommes des humains par une beuverie mélodieuse.

— La chanson ! la chanson ! crièrent Bringuenarilles, La Râpée, Tordgueule et Piedgris, » incapables de suivre cette dialectique subtile.

Malartic se nettoya le gosier par quelques vigoureux hum ! hum ! et, avec toutes les manières d’un chanteur appelé dans la chambre du roi, il entonna d’une voix