Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
LE CAPITAINE FRACASSE.


Ce billet, d’une galanterie précieuse, mais qui révélait chez celui qui l’avait écrit une tenacité formidable, et que rien ne saurait rebuter, produisit en partie l’effet que le duc s’en était promis. Isabelle le tenait à la main d’un air morne, et la figure de Vallombreuse se présentait à son esprit sous une apparence diabolique. Les parfums des fleurs, la plupart étrangères, posées près d’elle, sur le guéridon, où le laquais les avait mises, se développaient à la chaleur de la chambre, et leurs aromes exotiques s’épandaient puissants et vertigineux. Isabelle les prit et les jeta dans l’antichambre, sans retirer le bracelet de diamants qui entourait les queues, craignant qu’elles ne fussent imprégnées de quelque philtre subtil, narcotique ou aphrodisiaque, propre à troubler la raison. Jamais plus belles fleurs ne furent plus maltraitées, et cependant Isabelle les aimait fort ; mais elle eût craint, si elle les eût conservées, que la fatuité du duc n’en prît avantage ; et d’ailleurs ces plantes aux formes bizarres, aux couleurs étranges, aux parfums inconnus n’avaient pas le charme modeste des fleurs ordinaires ; leur beauté orgueilleuse rappelait celle de Vallombreuse et lui ressemblait trop.

Elle avait à peine déposé le bouquet proscrit sur une crédence de la pièce voisine, et s’était remise sur son fauteuil, qu’une fille de chambre se présenta pour l’accommoder. Cette fille, assez jolie, très-pâle, l’air triste et doux, avait dans son empressement quelque chose d’inerte, et semblait brisée par une terreur secrète ou un ascendant terrible. Elle offrit ses services