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LE CAPITAINE FRACASSE.

et croyez que tout ce que la science humaine peut risquer pour sauver une vie, sera fait avec audace et prudence. Rentrez dans vos appartements, je vous réponds de la vie de M. votre fils… jusqu’à demain. »

Un peu calmé par cette assurance, le père de Vallombreuse se retira chez lui, où toutes les heures un laquais lui venait apporter des bulletins de l’état du jeune duc.

Isabelle trouva dans le nouveau logis qu’on lui avait assigné cette même femme de chambre, morne et farouche, qui l’attendait pour la défaire ; seulement l’expression de sa physionomie était totalement changée. Ses yeux brillaient d’un éclat singulier, et le rayonnement de la haine satisfaite illuminait sa figure pâle. La vengeance arrivée enfin d’un outrage inconnu et dévoré silencieusement dans la rage froide de l’impuissance, faisait du spectre muet une femme vivante. Elle arrangeait les beaux cheveux d’Isabelle avec une allégresse mal dissimulée, lui passait complaisamment les bras dans les manches de sa robe de nuit, s’agenouillait pour la déchausser, et paraissait aussi caressante qu’elle s’était montrée revêche. Ses lèvres, si bien scellées naguère, petillaient d’interrogations. Mais Isabelle, préoccupée des tumultueux événements de la soirée, n’y prit pas garde autrement, et ne remarqua pas non plus la contraction de sourcils et l’air irrité de cette fille lorsqu’un domestique vint dire que tout espoir n’était pas perdu pour M. le duc. À cette nouvelle, la joie disparut de son masque sombre, éclairé un instant, et elle reprit son attitude