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LA BAGUE D’AMÉTHYSTE.

morne jusqu’au moment où sa maîtresse la congédia d’un geste bienveillant.

Couchée dans un lit moelleux, bien fait pour servir d’autel à Morphée, et que pourtant le sommeil ne se hâtait pas de visiter, Isabelle cherchait à se rendre compte des sentiments que lui inspirait ce revirement subit de destinée. Hier encore elle n’était qu’une pauvre comédienne, sans autre nom que le nom de guerre par lequel la désignait l’affiche aux coins des carrefours. Aujourd’hui, un grand la reconnaissait pour sa fille ; elle se greffait, humble fleur, sur un des rameaux de ce puissant arbre généalogique dont les racines plongeaient si avant dans le passé, et qui portait à chaque branche un illustre, un héros ! Ce prince si vénérable, et qui n’avait de supérieur que les têtes couronnées, était son père. Ce terrible duc de Vallombreuse, si beau malgré sa perversité, se changeait d’amant en frère, et s’il survivait, sa passion, sans doute, s’éteindrait en une amitié pure et calme. Ce château, naguère sa prison, était devenu sa demeure ; elle y était chez elle, et les domestiques lui obéissaient avec un respect qui n’avait plus rien de contraint ni de simulé. Tous les rêves qu’eût pu faire l’ambition la plus désordonnée, le sort s’était chargé de les accomplir pour elle et sans sa participation. De ce qui semblait devoir être sa perte, sa fortune avait surgi radieuse, invraisemblable, au-dessus de toute attente.

Si comblée de bonheurs, Isabelle s’étonnait de ne pas éprouver une plus grande joie ; son âme avait be-