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LE CAPITAINE FRACASSE.

soin de s’accoutumer à cet ordre d’idées si nouveau. Peut-être même, sans bien s’en rendre compte, regrettait-elle sa vie de théâtre ; mais ce qui dominait tout, c’était l’idée de Sigognac. Ce changement dans sa position l’éloignait-il ou la rapprochait-il de cet amant si parfait, si dévoué, si courageux ? Pauvre, elle l’avait refusé pour époux de peur d’entraver sa fortune ; riche, c’était pour elle un devoir bien cher de lui offrir sa main. La fille reconnue d’un prince pouvait bien devenir la baronne de Sigognac. Mais le Baron était le meurtrier de Vallombreuse. Leurs mains ne sauraient se rejoindre par-dessus une tombe. Si le jeune duc ne succombait pas, peut-être garderait-il de sa blessure et de sa défaite surtout, car il avait l’orgueil plus sensible que la chair, un trop durable ressentiment. Le prince, de son côté, était capable, quelque bon et généreux qu’il fût, de ne pas voir de bon œil celui qui avait failli le priver d’un fils ; il pouvait aussi désirer pour Isabelle une autre alliance ; mais, intérieurement, la jeune fille se promit d’être fidèle à ses amours de comédienne et d’entrer plutôt en religion, que d’accepter un duc, un marquis, un comte, le prétendant fût-il beau comme le jour et doué comme un prince des contes de fées.

Satisfaite de cette résolution, elle allait s’endormir, lorsqu’un bruit léger lui fit rouvrir les yeux, et elle aperçut Chiquita, debout au pied de son lit, qui la regardait en silence et d’un air méditatif.

« Que veux-tu, ma chère enfant ? lui dit Isabelle de sa voix la plus douce, tu n’es donc pas partie avec