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LE CAPITAINE FRACASSE.

tout en me désespérant, me plaisait. J’approuvais cette fermeté modeste et polie avec laquelle vous repoussiez mes hommages. Plus vous me rejetiez, plus je vous trouvais digne de moi. La colère et l’admiration se succédaient en moi, et quelquefois y régnaient ensemble. Même en mes plus violentes fureurs, je vous ai toujours respectée. Je pressentais l’ange à travers la femme, et je subissais l’ascendant d’une pureté céleste. Maintenant je suis heureux, car j’ai de vous précisément ce que je désirais de vous sans le savoir, cette affection dégagée de tout alliage terrestre, inaltérable, éternelle ; je possède enfin une âme.

— Oui, cher frère, répondit Isabelle, vous la possédez, et ce m’est un bien grand bonheur que de pouvoir vous le dire. Vous avez en moi une sœur dévouée qui vous aimera double pour le temps perdu, surtout si, comme vous l’avez promis, vous modérez ces fougues dont s’alarme notre père, et ne laissez paraître que ce qu’il y a d’excellent en vous.

— Voyez la jolie prêcheuse, dit Vallombreuse en souriant ; il est vrai que je suis un bien grand monstre, mais je m’amenderai sinon par amour de la vertu, du moins pour ne pas voir ma grande sœur prendre son air sévère à quelque nouvelle escapade. Pourtant je crains d’être toujours la folie, comme vous serez toujours la raison.

— Si vous me complimentez ainsi, fit Isabelle avec un petit air de menace, je vais reprendre mon livre, et il vous faudra ouïr tout au long l’histoire qu’allait