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LE CAPITAINE FRACASSE.

désastreuses, et mes fourgons, ensablés à quelque distance d’ici, contiennent mes provisions de bouche.

— J’ai bien peur, monsieur le duc, que mon dîner ne vous paraisse une vengeance, répondit Sigognac avec une courtoisie enjouée ; mais n’attribuez pas à la rancune la pauvre chère que vous ferez. Vos procédés francs et cordiaux me touchent au plus tendre de l’âme, et vous n’aurez pas désormais d’ami plus dévoué que moi. Bien que vous n’ayez guère besoin de mes services, ils vous sont tout acquis. Holà ! Pierre, trouve des poulets, des œufs, de la viande, et tâche à régaler de ton mieux ce seigneur qui meurt de faim et n’en a pas l’habitude comme nous. »

Pierre mit en poche quelques-unes des pistoles envoyées par son maître et qu’il n’avait pas touchés encore, enfourcha le bidet et courut bride abattue au village le plus proche, en quête de provisions. Il trouva quelques poulets, un jambon, une fiasque de vin vieux, et chez le curé de l’endroit, qu’il détermina non sans peine à le lui céder, un pâté de foies de canard, friandise digne de figurer sur la table d’un évêque ou d’un prince.

Au bout d’une heure il fut de retour, confia le soin de tourner la broche à une grande fille hâve et déguenillée qu’il avait rencontrée sur la route et envoyée au château, et mit le couvert dans la salle aux portraits, en choisissant parmi les faïences des dressoirs celles qui n’avaient qu’une écornure ou qu’une étoile, car il ne fallait point penser à l’argenterie, la dernière pièce ayant été depuis longtemps fondue. Cela