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les cruautés de l’amour

contractée par la souffrance, elle suivait des yeux le soulèvement pénible de sa poitrine, alors des larmes lui troublaient la vue et elle éprouvait une sorte de honte à sentir l’air circuler librement dans ses poumons.

— Ah ! s’il vit, continua-t-elle, comme je l’aimerai, comme je saurai lui faire oublier ce qu’il a souffert à cause de moi ! Par bonheur, je suis libre, maîtresse absolue de mes actions et je puis faire, sans rencontrer d’obstacles, la folie qui me procurera le bonheur ! Quelle joie de découvrir le monde à cette âme vierge qui n’a admiré encore que la nature de Dieu, de voir ses surprises, ses enivrements, de retrouver près de lui des sensations anciennes que la satiété a effacées ; oui, je veux te rendre cette hospitalité que tu m’as donnée de si grand cœur ; tu avais fait de moi une paysanne, je ferai de toi un grand seigneur !

Clélia, surexcitée par cette journée terrible et cette nuit d’insomnie, ne pouvait retenir ses larmes. Elle appuya son front brûlant sur la main d’André qu’elle tenait toujours.

Le jeune homme s’éveilla.

Dans les arbres du jardin, les rossignols chantaient à plein gosier ; le jour commençait à poindre.

— Clélia !… murmura André.