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les cruautés de l’amour

dans ma cabine, ce qui sera, je pense, plus conforme aux convenances.

À ces mots milady Campbell me salua et redescendit l’escalier. Je la suivis espérant la retenir, mais j’insistai vainement ; elle me ferma au nez la porte de sa cabine.

Être deux pour mourir, c’est une consolation relative sans doute, mais à laquelle on tient surtout lorsqu’on ne peut pas en espérer d’autre. Le danger partagé semble moins formidable ; on est en même temps protecteur et protégé ; on soutient et on s’appuie. Ainsi, la nuit dans une forêt pleine de bruits silencieux et de présences invisibles, si l’on traverse à deux les allées noires et humides, on se recommande l’un de l’autre, puis on est acteur et public ; il faut bien étonner son compagnon par la bravoure sans pareille dont on fait preuve dans le danger ; et la vanité distrait de la terreur. Mais lorsque, seul, on enfonce les pieds dans la terre froide, lorsqu’on ne voit plus le ciel, et qu’on est de toutes parts pris par l’obscurité, le cœur se livre à des battements exagérés ; le regard, timidement effleure les grandes masses noires des arbres, puis se tourne brusquement d’un autre côté. — Mais, de toutes parts, c’est aussi noir, aussi inquiétant, et l’on ne regarde plus ; on rentre ses yeux comme font les colimaçons. Alors