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les cruautés de l’amour

côte qui montait au sommet de la dune, et, de là, j’essayai une reconnaissance.

Autour de moi s’étendait une vaste plaine, sauvage et stérile, où je n’aperçus aucune trace de culture ou d’habitation. De loin en loin se tordait quelque arbre rabougri, à moitié chauve et séché, ou se hérissait un buisson roux. Le sol était d’un sable blanc et fin, entrecoupé par endroits d’un peu de terre végétale, de sorte que la lande entière présentait une alternative de poussière aride et de places sombres couvertes d’herbes, de bruyères en fleurs, de genets, et de plantes étrangères qui répandaient un parfum pénétrant. J’acquis la certitude que nous avions débarqué dans un steppe incultivable et je dus espérer que cette partie de l’île Fidji était inhabitée. J’allai retrouver milady pour lui faire part de mes observations.

En la voyant, je poussai un petit cri de surprise, car elle était tout de noir habillée.

— Oh ! madame, lui dis-je, pourquoi cette toilette lugubre ? n’eût-il pas été charitable d’égayer d’une jupe rose, ou de quelques bouts de rubans clairs notre sombre situation ?

— Vous oubliez, monsieur, que je suis veuve, me répondit-elle gravement.

Je respectai sa douleur, et pour l’en distraire