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les cruautés de l’amour

— Alors tu as acheté cette maison ?

— Pas si bête, pour qu’un beau matin le barine vende ma maison à un autre et me fasse mettre dehors ; c’est le seigneur, il le pourrait. Je lui paye une redevance et j’exploite la ferme à mon compte.

— Pourquoi ne pas te racheter ?

— Ah ! pourquoi ? le barine n’a jamais voulu y consentir, je lui ai offert d’argent plus que je ne vaux. Celui-là est libre, ajouta-t-il en frappant sur l’épaule d’André, il était encore tout enfant lorsqu’un jour le barine vint ici de fort méchante humeur ; je devinai qu’il avait besoin d’argent, mais je n’eus l’air de rien ; tout en le servant je lui racontai que mon fils était malade et que je craignais de le perdre.

— Va-t-en au diable, me dit-il, je me moque pas mal de ton fils !

— Qu’a donc le barine ? dis-je. Pourquoi daigne-t-il se mettre en colère ?

— J’ai perdu cinq cents roubles au jeu et ma bourse est vide. Qu’est-ce que ça te fait ?

— Cinq cents roubles ! m’écriai-je ; mais il faut tout une vie pour amasser cela ! Moi, qui suis déjà vieux, je n’ai pas pu en réunir davantage. Cependant, si mon fils n’était pas si près de la mort, je les donnerais volontiers pour le racheter.