Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/126

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la répétition ne laisse pas de devenir fastidieuse à la longue. Quant aux métaphores, aux figures, à la passion, à tout ce que est poésie enfin, il n’en faut pas chercher ; ce sont lettres closes pour eux ; ils ne s’en doutent même pas, et professent pour la poésie un mépris au moins fort singulier. Malherbe n’a pas eu de repos qu’il n’ait eu, à force de le faire passer à travers les filtres de la syntaxe, enlevé toute la partie colorante de la langue qu’il travaillait : il a fait comme un chimiste qui d’un vin généreux ne laisserait au fond de la cornue que la partie incolore et insipide. D’autres sont venus après lui, et ont encore filtré par une chausse moins perméable la liqueur clarifiée qu’il avait obtenue, de sorte qu’on a eu pour résultat, à propos de poésie, une langue transparente comme du cristal, mais froide et dure comme lui, d’ailleurs merveilleusement propre à écrire des traités de mathématiques. Jean-Baptiste Rousseau, notre premier lyrique, comme on dit, procède directement de Malherbe, triste conséquence ! Aussi, quand les poètes sont venus, ont-ils été obligés de remonter brusquement et tout d’un saut au 16e siècle pour y retrouver la langue poétique perdue, en attendant qu’ils aient pu s’en fabriquer une autre !

Rien au monde n’égale, du reste, l’outrecuidance et l’aplomb damné de Malherbe ; on sait ce qu’il répondit à Yvrande, à Racan, à Collomby, et quelques autres de ses amis, à propos de son Ronsard, dont il avait effacé la moitié et dont il raya le reste. La grossière et brutale réplique qu’il fit à Desportes, en lui disant que son potage valait mieux que ses psaumes, et qu’il ne se dérangeât