Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/153

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pris pour célébrer, sous le voile de l’ancienne Magdelaine, sa Magdelaine à lui, il crut trouver en cela un retour condamnable vers les choses et les passions du monde, — et, bien que ce ne fût que le regret d’une ombre et que la tombe sanctifiât ce pieux souvenir d’un chaste amour, il laissa là son poème et se mit à faire l’Éliade, dont la ressemblance de nom avec l’Iliade le flattait d’ailleurs particulièrement. Mais étant allé faire un pèlerinage à la Sainte-Beaume avec son inséparable le père Groslier, il lui arriva une chose qui le frappa singulièrement et le détermina à reprendre le poème de la Magdelaine. Après avoir fait ses dévotions, avoir bu à la fontaine, adoré le crâne de la sainte, où l’on voit encore l’empreinte du doigt de Dieu, et contemplé le rocher qui pleure éternellement, pénétré qu’il a été des larmes intarissables de la grande repentie, le sommeil le gagna ; il eut un songe qui l’effraya et le troubla on ne peut plus. Sa maîtresse morte, la pauvre Magdelaine de Vaureas, celle pour qui il avait fait tant d’anagrammes et qui l’avait aimé quoiqu’il fût bossu, se dressa lentement devant lui, aussi belle qu’au temps où elle était vivante, mais plus pâle que de la cire, un chapeau de roses blanches sur la tête, enveloppée d’une longue draperie qui tenait le milieu entre un linceul de trépassée et un voile de mariée ; elle avait ses mains transparentes croisées sur la poitrine, et regardait son amant, sans rien dire, d’un air à la fois triste et doux. Quand elle l’eut bien contemplé quelque temps en silence, elle décroisa ses mains et se mit à lui parler avec sa voix connue, et l’appelant du nom qu’il portait avant d’avoir renoncé au monde :