Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/192

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ventaire des meubles du compagnon, et il est assez succinct, comme on le peut bien penser. Un vieux panier y sert de chaise et de tabouret et de fauteuil, en sorte que si l’un est assis et ménage ainsi la semelle de ses souliers, l’autre est tout droit comme un sapin ou un cierge pascal ; un étui de luth tout cassé fait alternativement l’office de malle et d’oreiller. Une bouteille sert de chandelier ; la rapière du sire remplit avec un égal succès le rôle de broche et de couteau. Sur le bord de la cheminée on voit des fagots de bouts de vieilles pipes, un cornet avec ses trois dés et les Heures de Robert Benière à l’usage du lansquenet. — Quant au linge, la toile ne manque pas, mais malheureusement c’est la toile d’araignée qu’il faut entendre, et tout l’équipage du drôle se réduit à un peigne dans un chausson, et encore ce peigne n’est qu’une arête de poisson. — Des parfums et des poudres de senteur, il n’en faut pas chercher ; la cendre lui sert de poudre d’iris, et une gousse d’ail de pistache ; ses ongles, plus longs que ses doigts, lui sont comme des curedents d’Écosse ; il fait d’un compas un fer à moustache, un chenet d’un pavé, et un collet d’une rotonde ; puis, quand il est fatigué, et que, las et non soul de débauche, il donne le bonsoir aux pots, avec un demi-tour à gauche il fait de sa nappe un drap, et de sa table un lit. Le mur lui sert de rideau, et la lune, qui passe par une lucarne, lui tient lieu de veilleuse. Tout cela n’empêche pas nos deux épicuriens de faire en ce lieu de plaisance le meilleur repas qui se puisse faire entre deux pôles. — Certes, le tableau n’est pas noble, mais il est fait chaudement, et ceux qui ne disent pas comme Louis XIV devant les