Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/210

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colosses d’infamie qui effrayaient le monde au temps de la décadence ; il est tout simple qu’il parle ainsi, l’athéisme n’est qu’une gentillesse pour un pareil personnage ; il est païen d’ailleurs, et les dieux qu’il insulte ne sont que des démons, au dire de tous les pères de l’Église ; soutenir qu’ils ne sont pas des dieux est tout à fait orthodoxe, et je trouve assez singulier qu’un poète chrétien soit accusé d’athéisme pour avoir fait nier par un païen la divinité de Jupiter. C’est une anomalie de plus à classer dans le répertoire immense des bigarrures de l’esprit humain. D’ailleurs cela a toujours été ainsi : Byron prend pour héros de ses poèmes des corsaires et des meurtriers, on veut à toute force qu’il soit un meurtrier et un vampire. Bien des gens ne sont pas encore bien certains que l’auteur de Han d’Islande et du Dernier jour d’un condamné n’ait mangé de la chair humaine et n’ait été guillotiné. Avec cette méthode d’attribuer au poète ce qu’il fait dire à ses créatures, les poètes tragiques devraient tous être pendus haut et court ; ils ont commis plus de meurtres, d’empoisonnements, de viols et d’adultères, ils ont fait plus de choses cruelles, impies et scélérates que les plus affreux brigands du monde ; et en ceci, les classiques, malgré cette pastorale horreur du sang qu’ils nous font voir à chaque pièce nouvelle n’ont pas la moindre chose à reprocher aux romantiques. — Pour donner une idée de l’intelligence de la cabale ameutée contre Cyrano, il nous suffira de rapporter ce trait, qui est digne d’une cabale moderne.

De braves bourgeois — des épiciers de ce temps-là — allèrent à une représentation de l’Agrippine, bien con-