Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/213

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eux, en jeta deux sur le carreau, fit à sept autres de si grandes blessures qu’ils n’en purent revenir, et chassa tout le reste devant lui comme un troupeau. Cette rencontre lui rapporta d’autant plus de gloire que c’était son ami et non pas lui qui avait été insulté, et il faut dire à l’honneur de Cyrano, qui était ardent et chaud à servir ceux qu’il aimait, qu’il eut assez peu de querelles de son chef et que c’était plutôt comme second qu’il se battait que pour son propre compte. M. de Bourgogne, mestre de camp du régiment d’infanterie de Monseigneur le prince de Conti, et plusieurs autres seigneurs non moins recommandables et aussi experts connaisseurs en matière de bravoure, virent ce combat surhumain et en rendirent par le monde le témoignage le plus favorable ; l’illustre Cavois, Brissailles, enseigne des gendarmes de son altesse royale, M. de Zedde, M. Duret de Montchenin, un brave de la plus haute classe, qui le servirent et furent servis par lui dans quelques occasions souffertes en ce temps-là aux gens de leur métier, égalaient son courage à celui des plus vaillants. Nous avons beaucoup insisté sur cette audace et cette témérité de Cyrano, d’abord parce que, depuis Horace et même à dater de bien plus haut, les poètes se sont fait une réputation de couardise on ne peut plus méritée, et que nous sommes bien aise d’en trouver un qui ait du courage et soit homme quoique poëte ; ensuite, parce que cette audace et cette témérité n’abandonnaient pas Cyrano lorsqu’il quittait l’épée pour la plume ; le même caractère de hardiesse extravagante et spirituelle se retrouve dans tous ses ouvrages ; chaque phrase est un duel avec la raison ; la raison a beau se