Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/214

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mettre en garde et se ramasser sous la coquille de sa rapière, la folle du logis a toujours en réserve quelque botte secrète qu’elle lui pousse au ventre et qui la jette sur le pré ; comme le capitan Chasteaufort, en moins d’une minute elle a gagné et rompu la mesure, surpris le fort, coupé sous le bras, marqué tous les battements, tiré la flanconade, porté le coup de dessous ; elle s’est allongée de tierce sous les armes, elle a quarté du pied gauche, marqué feinte à la pointe et dedans et dehors, estramaçonné, ébranlé, empiété, engagé, volté, paré, riposté, carté, passé et tué, non pas plus de trente hommes, mais plus de trente belles idées vraiment neuves et philosophiques ; les bottes dont elle se sert le plus communément sont les métaphores outrées, les comparaisons alambiquées, les jeux de mots, les équivoques, les rébus, les concetti, les pointes, les turlupinades, les recherches précieuses, les sentiments quintessentiés, tout ce que le mauvais goût espagnol a de démesuré, le mauvais goût italien d’ingénieux et de chatoyant, le mauvais goût français de froid et de maniéré. Vous concevez que cette pauvre raison ne peut pas avoir bien souvent le dessus avec un tel adversaire ; cependant elle sort quelquefois victorieuse de ce duel inégal, et fait regretter qu’elle ne remporte pas plus d’avantages sur sa fantasque ennemie.

Au reste, Cyrano, sous tous les rapports, est bien de son temps : cette folle audace qu’on lui voit dans la pensée et dans l’action n’était pas rare dans ce siècle ; le matamore, type charmant effacé de nos comédies, comme vont l’être ou le sont déjà à l’heure où je parle