Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/286

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et où l’accord se trouve à force de discordance. On ne peut pas dire précisément qu’un vers soit plus aigre que l’autre, car ils le sont tous également et partout : le premier mot déchire aussi affreusement l’oreille que le second ou le troisième : si on les récite à haute voix, ce qui est impraticable sans se mettre les lèvres en sang et se râper la langue, il vous semble que l’on renverse des voitures pleines de pavés et qu’il passe sous vos fenêtres des chariots chargés de barres de fer.

Il n’y a pas d’âneries proprement dites, ni de stupidités énormes à provoquer un rire homérique ; ce n’est plus la mystique extravagance du père Pierre de Saint-Louis, ni la fatuité cavalière du Scudéry, qui amuse tout en faisant hausser les épaules, c’est une raison lourde, épaisse, un bon sens ennuyeux et commun à vous jeter de dégoût dans toutes les hyperboles du Marini et du Gongora ; — jamais personne n’a atteint une pareille intensité d’ennui ; c’est comme si l’on vous mettait une chape de plomb sur la tête : tout est gris, morne, décoloré, blafard ; les formes sont sèches, découpées, la couleur lourde et fausse ; les descriptions des choses les plus agréables vous impressionnent dans un sens inverse, le peu de roses qui fleurissent çà et là entre les blocs épars ont aussi mauvaise grâce que des choux, et leurs épines sont plutôt des épines de chardon que des épines de rose.

La Pucelle, cette figure si rayonnante, si céleste, si poétique, n’est plus qu’un spectre de pierre vêtu d’une armure de pierre et disant des paroles de pierre. — La statue du Commandeur ne frappe pas le sol plus lourdement de ses bottines de marbre. Dunois, au lieu d’être un