Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/292

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sonne et devait passer ses journées à genoux devant lui-même, et se dire, du matin au soir et du soir au matin : Un poète comme moi, payé par un duc, estimé de deux cardinaux, désiré à l’hôtel Rambouillet et honoré de la familiarité de tout ce qu’il y a d’illustre en France, ne peut faire exclusivement que des choses admirables ; tout, dans ses écrits, jusqu’aux virgules, doit renfermer des beautés qui ne soient point ailleurs ; les points sur les i eux-mêmes sont obligés d’avoir quelque signification symbolique de la plus haute portée.

M. de Marivaux fait ressortir avec beaucoup de justesse l’inconvénient de ces louanges anticipées dans une espèce de revue intitulée le Miroir où il feint de voir passer devant lui les esprits des différents poètes. Voici ses termes exprès :


« L’esprit que Chapelain avoit eu de son vivant étoit là aussi bien que son poème, et il me sembla que ce poème étoit bien au-dessous de l’esprit.

« J’examinai en même temps d’où cela venoit, et je compris, à n’en pouvoir douter, que si Chapelain n’avoit su que la moitié de la bonne opinion que l’on avoit de lui, son poème auroit été meilleur ou moins mauvais.

« Mais cet auteur, sur la foi de sa réputation, conçut une si grande et si sérieuse vénération pour lui-même, se crut obligé d’être si merveilleux, qu’en cet état il n’y eut point de vers sur lequel il ne s’appesantît gravement pour le mieux faire, point de raffinement difficile et bi-