Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/326

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de ses amis, entre autres d’Elzéar de Sarcilly, sieur de Chaudeville, mort à vingt-deux ans ; lui seul n’abandonna pas Théophile dans ses malheurs ; il soutint qu’il était le premier poète du monde et l’esprit le plus rare qui eût jamais été, et finissait en disant que quiconque en doutait apprît qu’il se nommait de Scudéry ; il lui dressa aussi un tombeau en vers que l’on voit en tête de ses œuvres, où il le loue de la manière la plus intrépide dans un temps où les plus chers amis de Théophile faisaient semblant d’ignorer qu’il eût vécu. Et Chevreau rapporte dans ses Ana un trait qui lui fait le plus grand honneur. — Nous transcrivons le passage : « La reine Christine m’a dit une fois qu’elle réservoit pour la dédicace qu’il lui ferait de son Alaric une chaîne d’or de mille pistoles. Mais comme M. le comte de Lagardie, dont il est fort avantageusement parlé dans ce poème, essuya la disgrâce de la reine, qui souhaitoit que le nom du comte fût ôté de l’ouvrage, et que je l’en informai, il me répondit que cette chaîne seroit aussi grosse et aussi pesante que celle des Incas il ne détruiroit pas l’autel où il avoit sacrifié. Cette fierté héroïque déplut à la reine, qui changea d’avis ; et le comte de Lagardie, obligé de reconnoître la générosité de Scudéry, ne lui fit pas même un remerciement. »

Scudéry avait du malheur en tout, madame d’Aiguillon lui avait fait avoir un prieuré de quatre mille livres de rente ; mais, au bout de six mois, le prieur, que l’on avait cru défunt et qui était seulement tombé aux mains des ennemis, reparut, et il fallut lui rendre son bien.

Et au moment même où il achevait son Alaric, la reine