Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/345

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huit sous, lui répond Belleombre, qui n’est autre que le neveu du susdit oncle, lequel, après avoir parcouru toutes les formes de vie où la débauche peut réduire un jeune homme, s’est engagé dans une troupe de comédiens ambulants. — Ah ! fait le neveu, c’est mon diable d’oncle ; je suis perdu, perdu ! — L’oncle lui fait une semonce comme un vrai oncle qu’il est. Son neveu l’engage à entrer tout de suite et à marquer sa place ; car s’il n’y a personne, c’est que toute la compagnie est là dans le jeu de paume à côté, et qu’elle attend que la pièce commence pour entrer tout d’un coup. L’oncle ne prend pas le change ; et comme tout oncle de comédie, quoique grondeur et bourru en apparence, est foncièrement bon enfant, il invite son neveu et toute la troupe à venir souper à l’hôtel de la Pomme-du-Pin, où il loge.

Le souper est fini, on a donné à laver ; M. Blandimare (l’oncle), qui est galant, présente la main aux dames pour passer dans la salle, et aftecte malicieusement de se tromper de nom en leur parlant ; sa faute est en effet excusable, et les noms des comédiens ont tant de rapport, qu’il est bien difficile qu’on ne les prenne point l’un pour l’autre. M. de Bellerosse, de Belleville, Beauchâteau, Belleroche, Beaulieu, Beaupré, Bellefleur, Belleépine, Beauséjour, Belleombre, Beausoleil ; enfin eux seuls possèdent toutes les beautés de la nature ; malgré tout cela, M. Blandimare aime au fond la comédie et les comédiens ; mais c’est un amateur difficile, et il estime que les acteurs doivent être comme les vers, les melons et les vins, c’est-à-dire excellents, sans quoi ils sont détestables, et il trace un portrait idéal du comédien qui paraît assez