Page:Gautier - Les Grotesques, 1856.djvu/67

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et le nôtre sur un poëte qui le mérite si peu et que vous reconnaissez vous-même pour détestable ? — C’est précisément parce qu’il est détestable que je m’en occupe.

Je vous avoue que j’ai par-dessus la tête de grands poëtes, de grands génies et autre engeance de cette espèce qui pullule effroyablement par le temps qui court, et que j’aime assez à lire un auteur que je puis trouver mauvais. — Et puis ce qui me plaît en Virbluneau, quelque assommant qu’il puisse être, c’est qu’il est un type, un véritable type, tout à fait oublié dans ce siècle vainqueur et triomphant, le type de l’amoureux transi, de l’amoureux de la vieille roche dont les grand’mères parlent à leurs petites-filles, — de l’amoureux débonnaire et naïf qui n’ose toucher sa déesse du bout du doigt, qui sèche sur pied respectueusement et se contente de l’appeler cruelle et tigresse, comme M. Tibaudier dans la Comtesse d’Escarbagnas, au lieu de la violer élégamment à la manière d’Antony et consorts : cela est aussi rare et singulier qu’un squelette complet de mammouth ; c’est une espèce complètement disparue comme tant d’autres, et qu’on ne retrouve qu’à la profondeur de la couche diluvienne. — Ô bon Scalion de Virbluneau, ô mon bel amoureux du xvie siècle, tu vaux que l’on t’empaille et que l’on te mette confire à l’esprit de vin ! Que tu es curieux et réjouissant à voir, mon pauvre martyr d’amour ! Mon Dieu, que tu es maigre ! comme tes yeux sont caves ! comme ton front est labouré ! que tu es sale et en désordre ! Allons, peigne un peu cette perruque hérissée ; cire-moi cette moustache qui a l’air d’une moustache de chat en colère ; taille-moi en pointe cette barbe prolixe ; gou-