Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/102

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comme mort, et qu’on en parlait déjà à l’aoriste. — Depuis longtemps Rudolph ne se battait plus, par suite d’un scrupule analogue à celui qui empêche les prévôts de salle d’avoir des duels avec les bourgeois.

L’insulte était si publique, que l’affaire n’était pas arrangeable. Chacun des deux adversaires avait là des amis qui ne purent refuser leur assistance comme témoins, et le rendez-vous fut pris pour le matin suivant à dix heures, au bois de Vincennes, dans l’allée des Minimes.

— Le temps me semble incertain, objecta le personnage barométrique que nos lecteurs n’ont sans doute pas oublié, et qui était l’un des témoins de Rudolph, il pourrait bien tomber de l’eau demain.

— Eh bien ! répondit Rudolph, nous nous battrons le parapluie d’une main et le pistolet de l’autre… ce sera un duel à la Robinson Crusoé.

On se sépara après s’être donné rendez-vous à la barrière du Trône. Dalberg se retira chez lui, fit quelques dispositions testamentaires, écrivit deux ou trois lettres, et alla rue de l’Abbaye jeter un regard, peut-être le dernier, sur la fenêtre de Calixte.

Était-ce une illusion ou une réalité ? il lui sembla que le pli du rideau si soigneusement fermé depuis la soirée qui avait vu la ruine de ses espérances, avait bougé un peu, et s’était écarté un instant.

Se croyant presque pardonné, il s’était retiré le cœur plein de joie et de désespoir, sans plus songer à son duel que s’il n’en avait jamais été question. Il était sûr de ne pas mourir.

Pour Rudolph, il était assis dans son cabinet sur une dormeuse, et tenait à la main un papier qu’il examinait et retournait en tous sens, comme pour y trouver un indice. Ce papier ne contenait sans doute rien d’agréable pour celui qui le lisait, car Rudolph fronçait les sourcils et se mordait les lèvres jusqu’au