Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/107

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sard cette petite bégueule, qui laissait tomber sur moi l’autre soir, comme une douche à la glace, son regard froid, serait ici aujourd’hui ? — Vertu, ce sont là de tes tours !

Florence, qui était allée chercher quelque chose dans la chambre voisine, fit cesser ce doute en reparaissant.

Les deux femmes se toisèrent un instant en silence de l’air le plus dédaigneux du monde.

Amine rompit l’arrêt la première, et, s’approchant du lit de Dalberg, elle lui dit :

— Je venais, mon bon ami, vous offrir mes services de garde-malade, mais je vois que Florence m’a devancée. — C’est d’une belle âme. Je relèverai madame quand elle sera fatiguée. — Êtes-vous né sous une heureuse étoile ! — Vous vous battez avec Rudolph ; vous n’êtes pas tué, ce qui ne s’est jamais vu ; vous en êtes quitte pour une blessure d’agrément qui vous fera porter un mois le bras en écharpe et vous rendra intéressant aux yeux des femmes. Amine et Florence se disputent le plaisir de passer la nuit à votre chevet : je ne vous conseille pas de vous plaindre !

Ayant débité sa tirade, Amine s’installa carrément dans un fauteuil comme quelqu’un qui veut faire une longue séance.

Florence avait repris sa place au chevet du lit et continuait sa lecture.

Henri regardait ces deux femmes si charmantes l’une et l’autre, et si dissemblantes pourtant. La beauté de l’une avait quelque chose de perfide, de cruel, de dangereux : grâce de chatte, charme de sirène, attrait de fleur vénéneuse ; — on s’alarmait de l’aimer. — La beauté de l’autre était franche, sympathique, pleine de noblesse et de générosité ; — on sentait qu’on pouvait sans crainte lui confier son amour