Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/49

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verait pas de la journée. En apprenant cette fâcheuse nouvelle, il prit son chapeau et dit : « Ce n’est pas étonnant, le vent d’est souffle depuis deux jours. »

À cette profondeur d’observation, on aura reconnu le personnage météorologique du souper. — C’était lui en effet.

Maintenant, pour quelle raison Florence était-elle venue précisément ce jour-là, à cette heure, chez Amine, qu’elle ne visitait pas quatre fois l’an, et pour laquelle, bien qu’elle s’abstînt de porter des jugements sur les autres femmes, elle ne paraissait avoir aucune sympathie ? — Était-ce le simple hasard ou l’espoir d’y rencontrer Dalberg et le désir d’arrêter à son commencement une intrigue qui lui déplaisait, pour une raison ou pour une autre ?

En lui supposant de l’amour pour Henri, la jalousie eût expliqué cette démarche ; mais elle ne l’avait vu qu’un très-petit nombre de fois, d’une manière vague, en compagnie d’autres personnes, et sans chercher jamais à faire naître des rapports plus fréquents.

D’ailleurs, Florence était une vertu… relative. — On ne lui avait jamais connu qu’un amant, et si de mauvaises langues chuchotaient le nom d’un second, le fait n’était pas bien prouvé. Quoique par sa position même elle ne pût être reçue dans le monde, Florence possédait tout ce qu’il faut pour y briller, et, légalité à part, n’était pas plus indigne d’y tenir sa place que bien d’autres abritées derrière le nom d’un mari, endosseur naturel de toutes leurs fredaines. La crainte qu’Amine ne fit un méchant usage du médaillon, et ne s’en servît pour jeter du trouble dans la vie d’une jeune fille honnête et pure, avait probablement déterminé Florence à se rapprocher de la maîtresse de Demarcy.

La voiture remontait les Champs-Élysées au trot de deux chevaux anglais demi-sang et d’une rare beauté.