Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voltairianisme le plus constitutionnel, à l’hugolâtrie la plus cannibale et la plus féroce.

Jusqu’à ce jour, Daniel Jovard avait eu un front ; mais, à peu près comme monsieur Jourdain parlait en prose, sans s’en douter ; il n’y avait pas fait la moindre attention. Ce front n’était ni très-haut ni très-bas ; c’était tout naïvement un honnête homme de front qui ne pensait pas à autre chose. Daniel résolut de s’en faire un front incommensurable, un front de génie, à l’instar des grands hommes d’alors. Pour cela, il se rasa un pouce ou deux de cheveux, ce qui l’agrandit d’autant, et se dégarnit tout à fait les tempes ; au moyen de quoi il se procura un haut de tête aussi gigantesque que l’on pût raisonnablement l’exiger.

Donc comme il avait un front immense, il lui prit une soif, également immense, sinon de réputation, du moins de famosité.

Mais comment jeter au milieu d’un public insouciant et railleur les six lettres ridicules qui formaient son nom patronymique ? Daniel, cela allait encore ; mais Jovard ! quel abominable nom ! Signez donc une élégie Jovard ! cela aurait bonne mine, il y aurait de quoi décréditer le plus magnifique poëme.

Pendant six mois, il fut en quête d’un pseudonyme ; à force de chercher et de se creuser la cervelle, il en trouva un. Le prénom était en us, le nom bourré d’autant de k, de doubles w et autres menues consonnes romantiques, qu’il fut possible d’en faire tenir dans huit syllabes : il aurait fallu,