Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/117

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Il délibéra quinze jours s’il ne se suiciderait pas, pour faire mettre son nom dans les journaux, et ayant entendu crier dans les rues la condamnation à mort d’un criminel, il eut la tentation d’assassiner quelqu’un pour se faire guillotiner et occuper de lui l’attention publique. Il y résista vertueusement, et sa dague resta vierge, heureusement pour lui et pour nous.

De guerre lasse, il revint à des moyens plus doux et plus ordinaires : il composa une multitude de vers qui parurent dans plusieurs journaux inédits, ce qui avança beaucoup sa réputation.

Il lia connaissance avec plusieurs peintres et sculpteurs de la nouvelle école, et, moyennant quelques déjeuners, quelques écus prêtés, sans intérêts, bien entendu, il se fit peindre, sculpter et lithographier, de face, de profil, de trois quarts, en plafond, à vol d’oiseau, par derrière, dans tous les sens imaginables. Il n’est pas que vous n’ayez vu un de ses portraits au Salon ou derrière le vitrage de quelque marchand de gravures, avec un tout petit masque, le front démesuré, la barbe prolixe, les cheveux en coup de vent, le sourcil en bas, la prunelle en haut, ainsi qu’il est d’usage pour les génies byroniens. Le nom, écrit en caractères capricants et biscornus comme une ligne de cabale ou une rune de l’Edda, vous le fera facilement reconnaître.

Tous les moyens de détourner l’œil sur lui, il les emploie : son chapeau est plus pointu que tous les autres ; il a plus de barbe à lui seul que trois sa-