Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gnes rimées par lui allaient paraître sur papier satiné, avec une belle couverture jaune et une vignette inintelligible ! Ces trois choses établies, Rodolphe sonna et se fit apporter à déjeuner : il mangea fort bien.

Après qu’il eut fini, il baissa le store de sa fenêtre, se fit une cigarette, et se renversa dans sa causeuse tout en suivant en l’air la blonde fumée du maryland. Il pensait qu’il était beau garçon, majeur et poëte, et, de ces trois pensées, une pensée unique surgit victorieusement comme une conséquence forcée, c’est qu’il lui fallait une passion, non une passion épicière et bourgeoise, mais une passion d’artiste, une passion volcanique et échevelée, qu’il ne lui manquait que cela pour compléter sa tournure, et le poser dans le monde sur un pied convenable.

Ce n’est pas tout que d’avoir une passion, encore faut-il qu’elle ait un prétexte quelconque. Rodolphe résolut que la femme qu’il aimerait serait exclusivement Espagnole ou Italienne, les Anglaises, Françaises et Allemandes étant infiniment trop froides pour fournir un motif de passion poétique. D’ailleurs, il avait en mémoire l’invective de Byron contre les pâles filles du Nord, et il se serait bien gardé d’adorer ce que le maître avait formellement anathématisé.

Il décida que sa future maîtresse serait verte comme un citron, qu’elle aurait le sourcil arqué d’une manière aussi féroce que possible, les pau-