Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tu as fait un calembour et plusieurs madrigaux, tu as eu une bonne fortune, et tu as joué aux cartes, et, pour mettre le comble à ces monstruosités, tu as dit du mal d’une pièce romantique !

Repasse dans ta tête toute la soirée, et rougis, si tu peux rougir encore !

Tu es entré par la porte comme un homme, tu t’es assis sur la causeuse comme un bourgeois, et tu as triomphé comme un second clerc d’huissier.

Pourtant c’était là une belle occasion de te servir de ton échelle de soie, et de casser un carreau avec ta main enveloppée d’un foulard. Et tu n’as pas pris l’occasion aux cheveux, passionné Rodolphe ! Tu n’aurais eu ensuite qu’à pousser ta belle dans un cabinet, où tu l’aurais violée avec tout l’agrément possible. Tu n’avais qu’à vouloir pour faire de l’Antonysme première qualité, mais tu n’as pas voulu : c’est pourquoi je te méprise et te condamne à peser du sucre, pendant l’éternité !

Le pauvre jeune homme faisait toutes ces réflexions, ou à peu près, en s’en revenant chez lui.

— Comment, moi, Rodolphe ; moi, majeur ; moi, beau garçon ; moi, poëte ; avec une femme qu’un Italien prendrait pour une Italienne, une femme ornée d’un mari et de tout ce qu’il faut pour établir une scène avec une dague de Tolède ou peu s’en faut, et le plus grand désir d’en faire usage, je ne puis parvenir à me procurer le plus petit événement, le plus petit incident dramatique ! c’est à en mourir de honte et de dépit !