Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/202

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noux, fais-moi l’amitié de te tuer. Un suicide, quoique la chose soit assez commune et menace de devenir mauvais genre, a toujours une certaine tournure, et produit un effet assez poétique ; cela te relèverait peut-être un peu aux yeux de mes lecteurs, qui te doivent trouver un bien misérable héros.

Puis, ta mort me procurerait l’ineffable avantage de me dispenser d’écrire le reste de ta vie. Je pourrais poser au bas de cette histoire interminable le bienheureux mot fin, qui n’est pas, à coup sûr, attendu avec plus d’impatience par le lecteur que par moi, ton illustre biographe.

D’ailleurs, il fait un temps le plus beau du monde, et je t’assure, ô Rodolphe, que j’aimerais mille fois mieux m’aller promener au bois que de faire trotter ma plume éreintée et poussive tout le long de ces grandes coquines de pages. Ici, je pourrais faire une vingtaine de lignes en prose poétique, comme les feuilletonistes ont l’habitude d’en faire chaque printemps sur le malheur qu’ils ont d’être obligés de voir des vaudevilles et des opéras comiques, et de ne pouvoir s’en aller à la campagne à Meudon ou à Montmorency. Mais je résisterai vertueusement à la tentation, et je ne parlerai ni du ciel bleu, ni des rossignols, ni des lilas, ni des pêchers, ni des pommiers, ni en général d’aucun légume quelconque ; c’est pourquoi je demande que l’univers me vote des remerciements et me décerne une couronne civique.

Et pourtant cela m’aurait été fort utile pour