Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/203

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remplir cette feuille, où je ne sais en vérité que mettre, et l’imprimeur est là, dans l’antichambre, qui demande de la copie, et allonge ses griffes noires comme un vautour à jeun.

Considérez, lecteurs et lectrices, que je n’ai pas comme les autres auteurs mes confrères, la ressource des clairs de lune et des couchers de soleil, pas la plus petite description de château, de forêt ou de ruines. Je n’emploie pas de fantômes, encore moins de brigands ; j’ai laissé chez le costumier les pantalons mi-partis et les surcots armoriés ; ni bataille, ni incendie, ni rapt, ni viol. Les femmes de mon livre ne se font pas plus violer que la vôtre ou celle de votre voisin : ni meurtre, ni pendaison, ni écartèlement, pas un pauvre petit cadavre pour égayer la narration et étouper les endroits vides.

Vous voyez combien je suis malheureux, obligé tous les deux jours de fournir, jusqu’à ce que mort s’ensuive, une feuille in-octavo de vingt-six lignes à la page et de trente-cinq lettres à la ligne.

Et, tel soin que je prenne de faire de petites phrases et de les couper par de fréquents alinéas, je ne puis guère voler qu’une vingtaine de lignes et une centaine de lettres à mon respectable éditeur, n’ayant pas eu l’idée de diviser mon histoire en chapitres, ou du moins ne l’ayant eue que trop tard.

D’ailleurs, ce qui rend ma tâche encore plus difficile, je suis décidé à ne mettre dans ce volume que des choses mathématiquement admirables. Avec