Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/206

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rodolphe. — Qui te parle d’argent ? C’est un service d’homme que je te demande.

albert. — Ah ! c’est différent. Faut-il te servir de second dans un duel ? Je te montrerai une botte.

rodolphe. — Hélas ! ce n’est pas pour cela.

albert. — Faut-il te faire un article laudatif sur tes dernières poésies ? je suis prêt. Tu vois que je suis un homme dévoué.

rodolphe. — Un plus grand service que tout cela. Tu connais madame de M*** ?

albert. — Belle question ! c’est moi qui te l’ai fait connaître.

rodolphe. — Tu connais aussi M. de M*** ?

albert. — La moitié au moyen de quoi elle fait un tout, vulgairement parlant, l’époux d’icelle ; je le connais comme le mari de ma mère.

rodolphe. — Tu sais aussi que j’ai une passion pour madame de M*** ?

albert. — Par les tripes du pape ! je le sais. Je l’ai vue toute petite, ta passion ; elle est venue au monde devant moi, au balcon de l’Opéra, ayant pour mère une bouteille de vin d’Espagne et pour père un bol de punch. Je l’ai enveloppée des langes de mon amitié, je l’ai bercée, je l’ai choyée jusqu’à ce qu’elle ait été grande fille et capable de marcher toute seule ; j’ai entendu ses premiers bégayements et j’ai lu les premiers vers qu’elle ait bavés — ils étaient assez méchants, par parenthèse. — Tu vois que je suis parfaitement au courant.