Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/231

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frer un mot, et qu’il fallait en déférer au chartrier de la ville.

Sa conversation était hérissée d’expressions vieillies, de tours tombés en désuétude, si bien que chaque phrase était une énigme, et qu’il y fallait un commentaire.

Pourtant, avec tout cela, il avait une âme aimante et pieuse ; il comprenait l’art, mais l’art naïf et qui croit à son œuvre, l’art gothique, patient et enthousiaste, qui fait des miniatures géantes, des basiliques travaillées en bijou, des clochers de deux cents pieds, finis comme des chatons de bague. Il sentait admirablement bien l’architecture ; il eût trouvé Notre-Dame et la cathédrale de Bourges, si elles avaient été à faire. Trois cents ans plus tôt, le nom d’Élias Wildmanstadius nous fût parvenu, porté par l’écho des siècles, avec ces quelques noms rares qui surnagent et ne meurent point ; mais, comme beaucoup d’autres, il avait manqué son entrée en ce monde, il n’était qu’une espèce de fou ; il eût été un des plus hauts génies, sa vie eût été pleine et complète : il était obligé de se créer une existence factice et ridicule, et de se jouer lui-même de lui.

Choqué de la tournure bourgeoise et mercantile des habitants, de la monotonie anti-pittoresque des maisons neuves, il en était réduit à ne pas sortir, ou, s’il le faisait, ce n’était que pour visiter et pour fureter dans tous ses coins sa bonne vieille cathédrale. C’était le plus grand plaisir qu’il eût ; il y restait des heures entières en contemplation. Le clo-