Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/252

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ce qu’il y avait de plaisant, c’est qu’à côté de chaque assiette était posé un volume, soit de Barnave, soit de la Peau, soit de la Salamandre, ou de la Danse Macabre, ouvert précisément à l’endroit de l’orgie, afin que chacun pût suivre ponctuellement le livre et en garder consciencieusement la tournure.

Les premiers plats se désemplirent, les premières bouteilles se vidèrent, sans qu’il se passât rien de remarquable, sans qu’il se dît rien de très-superlatif. Un cliquetis de verres et de fourchettes, un bruit de déglutition et de mastication, coupé çà et là de quelques rires stridents, était à peu près tout ce qu’on entendait.

De temps en temps une feuille du livre retombait sur une autre feuille avec un frissonnement satiné.

— Diable ! je ne suis encore qu’à la description du premier service, dit un balzacien. Ce gredin de Balzac n’en finit pas ; ses descriptions ont cela de commun avec les sermons de mon père.

— J’ai encore au moins dix pages pour arriver au bon endroit, cria un flambart, de l’autre côté de la salle ; j’ai déjà bu deux ou trois bouteilles de vin, Frédéric en a bu autant, et aucuns des effets décrits dans la Salamandre n’a daigné se produire. Le nez de Rodolphe est toujours de la même couleur, il n’est que rouge, quoique M. Eugène Sue ait dit formellement que, dans une orgie caractéristique, le rouge devenait pourpre et le pourpre violet.

— Bah ! bah ! c’est que nous ne sommes pas encore assez gris ; buvons !