Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/278

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Je ne pouvais moi-même en détourner mes regards et m’empêcher de suivre l’aiguille, qui marchait vers minuit à pas imperceptibles.

Enfin, minuit sonna ; une voix, dont le timbre était exactement celui de la pendule, se fit entendre et dit :

— Voici l’heure, il faut danser.

Toute l’assemblée se leva. Les fauteuils se reculèrent de leur propre mouvement ; alors, chaque cavalier prit la main d’une dame, et la même voix dit :

— Allons, messieurs de l’orchestre, commencez !

J’ai oublié de dire que le sujet de la tapisserie était un concerto italien d’un côté, et de l’autre une chasse au cerf où plusieurs valets donnaient du cor. Les piqueurs et les musiciens, qui, jusque-là, n’avaient fait aucun geste, inclinèrent la tête en signe d’adhésion.

Le maestro leva sa baguette, et une harmonie vive et dansante s’élança des deux bouts de la salle. On dansa d’abord le menuet.

Mais les notes rapides de la partition exécutée par les musiciens s’accordaient mal avec ces graves révérences : aussi chaque couple de danseurs, au bout de quelques minutes, se mit à pirouetter, comme une toupie d’Allemagne. Les robes de soie des femmes, froissées dans ce tourbillon dansant, rendaient des sons d’une nature particulière ; on aurait dit le bruit d’ailes d’un vol de pigeons. Le vent qui s’engouffrait par-dessous les gonflait pro-