Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/29

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tu ne sais pas ce qui en est. Par honnête femme, je n’entends pas, ce qu’on entend généralement par là, une femme qui a un mari, un cachemire, qui loge au premier, et ne se permet guère qu’un amant à la fois.

— Qu’est-ce donc alors ? dit l’autre en se soulevant sur le coude avec une stupéfaction profonde.

— Ce n’est pas même celle qui n’a pas d’amant du tout.

— Humph ! fit Théodore comme un homme dont la conviction est tout à fait troublée.

— Ô mon ami ! j’en suis mortifié pour toi, tu es un âne, et tu ne seras probablement pas autre chose d’ici à bien longtemps.

À cet endroit de son apostrophe, Roderick fit un hoquet hasardeux, et s’interrompit un instant ; mais il reprit bientôt le fil de son discours avec une grâce toute particulière, en imitant l’accent de Frédérick dans l’Auberge des Adrets :

— Tu n’entends rien absolument à la triture des affaires, et tu ne possèdes pas le moindre rudiment de métaphysique ; ta philosophie est diablement en arrière, et je suis fâché de le dire, avec de belles dispositions, tu ne parviendras jamais à rien.

Théodore soupira.

— Qu’est-ce que la vertu, Théodore ?

— Que sais-je ?

— Ceci est du Montaigne, et c’est ce que tu as dit de plus raisonnable depuis que tu abuses de la langue que Dieu t’a donnée, Brutus définit la vertu un nom.