Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/291

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droite, et je tenais une de leurs mains dans chacune des miennes ; nous caquetions comme des pies, c’était un ramage à ne pas s’entendre : les petites parlaient à la fois, et il m’arrivait souvent de donner à Clary la réponse de Musidora, et ainsi de suite ; et quelquefois cela donnait lieu à des à-propos si charmants, à des quiproquos si comiques, que nous nous en tenions les côtes de rire. Pendant ce temps-là, la mère faisait du filet, lisait quelque vieux journal, ou sommeillait à demi dans sa bergère.

Certainement, ma position était digne d’envie et je n’aurais pu en rêver une plus désirable ; cependant je n’étais heureux qu’à moitié : si en jouant j’embrassais Clary, je sentais qu’il me manquait quelque chose et que ce n’était pas un baiser complet ; alors, je courais embrasser Musidora, et le même effet se répétait en sens inverse : avec l’une je regrettais l’autre, et ma volupté n’eût été entière que si j’eusse pu les embrasser toutes deux à la fois : ce n’était pas une chose fort aisée.

Une chose singulière, c’est que les deux charmantes misses n’étaient pas jalouses l’une de l’autre : il est vrai que j’avais soin de répartir mes caresses et mes attentions avec la plus exacte impartialité : malgré cela, ma situation était des plus difficiles, et j’étais dans des transes perpétuelles. Je ne sais pas si l’effet qu’elles produisaient sur moi, elles se le produisaient réciproquement sur elles ; mais je ne puis attribuer à un autre motif la bonne intelligence qui régnait entre nous. Elles se sen-