Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/295

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cordez ; mais elles me paraissent si aimables toutes deux, que je ne sais laquelle prendre.

Elle sourit et me dit :

— Je suis comme vous, je ne sais laquelle j’aime le mieux ; mais avec le temps vous vous déciderez ; mes filles sont jeunes, elles peuvent attendre.

Nous en restâmes là.

Trois, quatre mois se passèrent ; j’étais aussi incertain que le premier jour : c’était affreux. Je ne pouvais rester plus longtemps dans la maison sans prendre un parti, je ne pouvais le prendre ; je prétextai un voyage. Les deux petites pleurèrent beaucoup la mère me dit adieu avec un air de pitié bienveillante et douce que je n’oublierai jamais ; elle avait compris combien était grand mon malheur. Les deux sœurs m’accompagnèrent jusqu’au bas de l’escalier, et, là, sentant bien que nous ne devions plus nous revoir, me donnèrent chacune une boucle de leurs cheveux. Je n’ai pleuré dans ma vie que cette fois-là et puis une autre ; mais c’est une histoire que je ne vous conterai pas. Je fis tresser les deux mèches ensemble et je les portai sentimentalement sur mon cœur pendant mes six mois d’absence.

À mon retour, j’appris que les deux sœurs étaient mariées, l’une à un gros major qui était toujours ivre et qui la battait ; l’autre à un juge, ou quelque chose comme cela, qui avait les yeux et le nez rouges ; toutes deux étaient enceintes. On peut bien croire que je n’épargnai pas les malédictions à ces