Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/298

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Mon enfance est là, joueuse et candide, belle de la beauté d’une matinée d’avril, vierge de corps et d’âme, souriant à la vie comme à une bonne chose. Hélas ! mon regard s’arrête complaisamment à cette représentation de mon moi d’alors, qui n’est plus mon moi d’aujourd’hui ! J’éprouve, en me voyant, une espèce d’hésitation ; comme lorsqu’on rencontre par hasard un ami ou un parent, après une si longue absence qu’on a eu le temps d’oublier ses traits, j’ai quelquefois toutes les peines du monde à me reconnaître. À dire vrai, je ne me ressemble guère.

Depuis, tant de choses ont passé par ma pauvre tête ! Ma physionomie physique et morale est totalement changée.

Au souffle glacial du prosaïsme, j’ai perdu une à une toutes mes illusions ; elles sont tombées de mon âme, comme les fleurs de l’amandier par une bise froide, et les hommes ont marché dessus avec leurs pieds de fange ; ma pensée adolescente, touchée et polluée par leurs mains grossières, n’a rien conservé de sa fraîcheur et de sa pureté primitives ; sa fleur, son velouté, son éclat, tout a disparu ; comme l’aile de papillon qui laisse aux doigts une poussière d’or, d’azur et de carmin, elle a laissé son principe odorant sur l’index et le pouce de ceux qui voulaient la saisir dans son vol de sylphide.

Avec la jeunesse de ma pensée, celle de mon corps s’en est allée aussi ; mes joues, rebondies et rosés comme des pommes, se sont profondément