Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/306

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en l’air, je m’en ferais un matelas et un oreiller bien souples, bien moelleux, et je me coucherais dessus. Du matin jusqu’au soir, je chanterais ma petite chanson de grillon, et je ferais cri cri ; et puis je ne travaillerais pas, je n’irais pas à l’école. Oh ! quel bonheur !… Mais je ne voudrais pas être noir comme ils sont… N’est-ce pas, Théophile, que c’est vilain d’être noir ?…

Et, en prononçant ces mots, elle jeta une œillade coquette sur la main que je tenais.

— Tu es une folle ! lui dis-je en l’embrassant. Toi qui ne peux rester un seul instant tranquille, tu t’ennuierais bien vite de cette vie égale et dormante. Ce pauvre reclus de grillon ne doit guère s’amuser dans son ermitage ; il ne voit jamais le soleil, le beau soleil aux cheveux d’or, ni le ciel de saphir, avec ses beaux nuages de toutes couleurs ; il n’a pour perspective que la plaque noircie de l’âtre, les chenets et les tisons ; il n’entend d’autre musique que la bise et le tic-tac du tournebroche.

« Quel ennui !…

« Si je voulais être quelque chose, j’aimerais bien mieux être demoiselle ; parle-moi de cela, à la bonne heure, c’est si joli !… On a un corset d’émeraude, un diamant pour œil, de grandes ailes de gaze d’argent, de petites pattes frêles, veloutées. Oh ! si j’étais demoiselle !… comme je volerais par la campagne, à droite, à gauche, selon ma fantaisie… au long des haies d’aubépine, des mûriers sauvages et des églantiers épanouis ! Effleurant du