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III

Comme vous n’avez probablement pas vu la caricature de Jacobus Pragmater, dessinée au charbon sur la porte de la cuisine de mon oncle le chanoine, et qu’il est peu probable que vous alliez à *** pour la voir, vous vous contenterez d’un portrait à la plume.

Jacobus Pragmater, qui joue en cette histoire le rôle de la fatalité antique, avait toujours eu soixante ans : il était né avec des rides, la nature l’avait jeté en moule tout exprès pour faire un bedeau ou un maître d’école de village ; en nourrice, il était déjà pédant.

Étant jeune, il avait écrit en petite bâtarde l’Ave et le Credo dans un rond de parchemin de la grandeur d’un petit écu. Il l’avait présenté à M. le marquis de ***, dont il était le filleul ; celui-ci, après l’avoir considéré attentivement, s’était écrié à plusieurs reprises :

— Voilà un garçon qui n’est pas manchot !

Il se plaisait à nous raconter cette anecdote, ou, comme il rappelait, cet apophtegme ; le dimanche, quand il avait bu deux doigts de vin, et qu’il était en belle humeur, il ajoutait, par manière de réflexion, que M. le marquis de *** était bien le gentilhomme de France le plus spirituel et le mieux appris qu’il eût jamais connu.