Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/325

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Pragmater, malgré ses idées voltairiennes, eut beaucoup de peine à s’expliquer la vision étrange qu’il venait d’avoir ; sa physionomie en était toute troublée. Cependant le doute ne lui était pas permis, il était lui-même son propre garant, il n’y avait pas de supercherie possible ; aussi tomba-t-il dans une profonde rêverie, et restait-il des heures entières sur sa chaise, dans l’attitude d’un homme singulièrement perplexe.

Vainement Tom, le brave matou, venait-il frotter sa moustache contre sa main pendante, et Berthe lui demandait-elle, du ton le plus engageant :

— Pragmater, croyez-vous que la vendange sera bonne ?

VI

On n’avait aucune nouvelle de mon oncle.

Un matin Pragmater le vit raser, comme un oiseau, le sable de l’ailée du jardin, sur le bord de laquelle ses soleils favoris penchaient mélancoliquement leurs disques d’or pleins de graines noires ; avec sa main d’ombre, ou son ombre de main, il essayait de relever une des fleurs que le vent avait courbée, et tâchait de réparer de son mieux la négligence des vivants.

Le ciel était clair, un gai rayon d’automne illuminait le jardin ; deux ou trois pigeons, posés sur le toit, se toilettaient au soleil ; une bise noncha-