Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/337

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Ces papiers alimentent pendant longtemps le cabinet intime du réfractaire, ou lui servent à allumer sa pipe quand il fume ; il fume toujours. Les vingt-quatre heures se changent en quarante-huit heures. Les soixante-douze heures ne vont pas tarder à paraître.

Pour ne pas être pris, le réfractaire laisse pousser ses cheveux s’il les avait courts, les coupe s’il les avait longs ; met un faux nez de cire vierge comme Edmond du Cirque-Olympique, quand il jouait l’empereur ; se colle des favoris postiches et se grime en sexagénaire pour dérober son signalement aux mouchards, aux argousins et aux gardes municipaux.

Comme il sait que le renard est bientôt pris s’il n’a qu’un terrier, il en a cinq : trois à la ville et deux à la campagne ; un cabriolet de régie stationne perpétuellement à la porte de derrière du logement qu’il habite ce jour-là ; car, à l’exemple de Cromwell, il ne couche jamais deux fois dans la même chambre, et, comme les chats, ne dort jamais que d’un œil.

La nuit, il a des cauchemars affreux ; la patte de crabe d’un mouchard lui serre la gorge et l’étouffe, il voit les spectres de Dubois, de Ripon, de Duminil, de Werther, déguisés en hommes et vêtus d’effroyables redingotes vertes ; ils agitent de fulgurantes condamnations à soixante-douze heures, et ricanent affreusement en montrant leurs crocs et leurs défenses de sanglier. Des portes doublées de fer se