Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/351

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j’exprime, je les éprouve ; je suis Hamlet, Othello, Charles Moor : quand on est tout cela, on ne peut que difficilement se résigner à l’humble condition de pasteur de village.

— C’est fort beau ; mais vous savez bien que mes parents ne voudront jamais d’un comédien pour gendre.

— Non, certes, d’un comédien obscur, pauvre artiste ambulant, jouet des directeurs et du public ; mais d’un grand comédien couvert de gloire et d’applaudissements, plus payé qu’un ministre, si difficiles qu’ils soient, ils en voudront bien. Quand je viendrai vous demander dans une belle calèche jaune dont le vernis pourra servir de miroir aux voisins étonnés et qu’un grand laquais galonné m’abattra le marchepied, croyez-vous, Katy, qu’ils me refuseront ?

— Je ne le crois pas… Mais qui dit, Henrich, que vous en arriverez jamais là ?… Vous avez du talent ; mais le talent ne suffit pas, il faut encore beaucoup de bonheur. Quand vous serez ce grand comédien dont vous parlez, le plus beau temps de notre jeunesse sera passé, et alors voudrez-vous toujours épouser la vieille Katy, ayant à votre disposition les amours de toutes ces princesses de théâtre si joyeuses et si parées ?

— Cet avenir, répondit Henrich, est plus prochain que vous ne croyez ; j’ai un engagement avantageux au théâtre de la Porte de Carinthie, et le directeur a été si content de la manière dont je me suis acquitté de mon dernier rôle, qu’il m’a accordé une gratification de deux mille thalers.