Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/352

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— Oui, reprit la jeune fille d’un air sérieux, ce rôle de démon dans la pièce nouvelle ; je vous avoue, Henrich, que je n’aime pas voir un chrétien prendre le masque de l’ennemi du genre humain et prononcer des paroles blasphématoires. L’autre jour, j’allai vous voir au théâtre de Carinthie, et à chaque instant je craignais qu’un véritable feu d’enfer ne sortît des trappes où vous vous engloutissiez dans un tourbillon d’esprit-de-vin. Je suis revenue chez moi toute troublée et j’ai fait des rêves affreux.

— Chimères que tout cela, ma bonne Katy ; et d’ailleurs, c’est demain la dernière représentation, et je ne mettrai plus le costume noir et rouge qui te déplaît tant.

— Tant mieux ! car je ne sais quelles vagues inquiétudes me travaillent l’esprit, et j’ai bien peur que ce rôle, profitable à votre gloire, ne le soit pas à votre salut ; j’ai peur aussi que vous ne preniez de mauvaises mœurs avec ces damnés comédiens. Je suis sûre que vous ne dites plus vos prières, et la petite croix que je vous avais donnée, je parierais que vous l’avez perdue.

Henrich se justifia en écartant les revers de son habit ; la petite croix brillait toujours sur sa poitrine.

Tout en devisant ainsi, les deux amants étaient parvenus à la rue du Thabor dans la Léopoldstadt, devant la boutique du cordonnier renommé pour la perfection de ses brodequins gris ; après avoir causé quelques instants sur le seuil, Katy entra suivie de