Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/372

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l’honneur de m’admettre à leur payer des petits verres et des cigares ; je commençai même un poëme didactique en quatre chants, en vers latins, intitulé Ars natandi. Malheureusement, la nage est un art d’été ; et, l’hiver, pour me distraire des thèmes et des versions, j’illustrais de dessins à la plume les marges de mes cahiers et de mes livres ; je ne puis évaluer à moins de six cent mille le nombre de vers à copier que cette passion m’attira ; j’avais du premier coup atteint les hauteurs de l’art primitif ; j’étais byzantin, gothique, et même, j’en ai peur, un peu chinois : je mettais des yeux de face dans des têtes de profil ; je méprisais la perspective et je faisais des poules aussi grosses que des chevaux ; si mes compositions eussent été sculptées dans la pierre au lieu d’être griffonnées sur des chiffons de papier, nul doute que quelque savant ne leur eût trouvé les sens symboliques les plus curieux et les plus profonds. Je ne me rappelle pas sans plaisir une certaine chaumière avec une cheminée dont la fumée sortait en tire-bouchon, et trois peupliers pareils à des arêtes de sole frite, qui aujourd’hui obtiendraient le plus grand succès auprès des admirateurs de l’air naïf. À coup sûr, rien n’était moins maniéré.

De là, je passai à de plus nobles exercices ; je copiai les Quatre Saisons au crayon noir, et les Quatre Parties du monde au crayon rouge. Je faisais des hachures carrées, en losange, avec un point au milieu. Ce qui me donna beaucoup de peine dans les com-